Òlòtūré, une vision des dérives causées par la misère

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Òlòtūré

Si vous avez un peu suivi les arrivées Netflix du moment, vous avez sans doute dû remarquer Òlòtūré, ce film tout droit venu du Nigeria. Nollywood est, depuis les années 2000, un vivier florissant à l’image de Bollywood, mais rares sont les films qui arrivent tout de même à se faire une place dans le paysage cinématographique occidental. Netflix ouvre une porte à ce niveau, avec de plus en plus d’offres. Òlòtūré, initialement sorti en octobre 2019, peut aujourd’hui toucher un plus grand public, et pour cause, il vient s’inscrire dans la lignée des œuvres « coup de poing », comme Stateless, du catalogue d’éveil des consciences de la plateforme de streaming en N.

Òlòtūré, c’est l’histoire d’une journaliste du même nom (interprétée par Sharon Ooja) investiguant sous couverture sur un réseau de prostitution et de trafic d’êtres humains. Il est important de mentionner le fait que ce film s’inspire de l’histoire vraie de la journaliste d’investigation Tobore Mit Ovuorie. Son enquête d’une durée de quatre mois fut motivée par le décès de l’une de ses amies après son retour d’Italie en 99, où elle avait séjourné en tant que travailleuse du sexe.

Òlòtūré

Le film met en lumière une sombre réalité fortement ancrée dans la culture des peuples maintenus dans la pauvreté à travers le monde. La prostitution y est considérée comme une véritable porte de sortie face à une misère étouffante, à tel point que de jeunes femmes choisissent cette voie de manière totalement volontaire avec le rêve de pouvoir, un jour, atteindre l’Europe, terre de promesses. Dans l’imaginaire des gens à travers le monde, tristement, l’Europe représente toujours un eldorado. Òlòtūré, mêlée à d’autres prostituées, essaye d’intégrer un réseau de passeurs. Pour ces femmes, on y découvre une triste expression : le Next Level. Ou passer de travailleuse du sexe en Afrique à travailleuse du sexe en Italie (pour le cas du film).

Òlòtūré, c’est des scènes malaisantes, mais de la poignante vérité. C’est d’ailleurs pour cela que Kenneth Gyang, le réalisateur, s’explique sur sa fin en disant qu’il ne raconte pas une belle histoire et qu’il était donc normal pour lui de ne pas l’achever sur un happy end hollywoodien. La réalité, c’est que beaucoup de ces femmes ne voient jamais l’Europe, revendues d’homme en homme. D’autres ne quittent même pas le Nigeria, ne survivant pas aux rudes conditions de transport, ou à la violence gratuite de leurs exploitants. Univers dans lequel la fuite n’est plus une option, les mafias ayant recours à des moyens de pressions telles que des menaces à l’encontre des familles de ces jeunes femmes souvent mineures.

Si la réalisation est parfois un peu maladroite, le sujet est bien traité. L’immersion dans ce réseau dans lequel ces femmes n’ont plus que leurs « collègues » comme soutien, montre les rouages allant du petit maquereau aux politiciens, et n’épargnant pas l’implication européenne. Pour l’année 2019, le pays recensait 20 000 jeunes filles vendues pour le seul bénéfice du Mali. 11 000 débarquées en Italie pour 2017, avec des chiffres grandissant avec le temps. C’est une dure vérité, qui bien qu’inconfortable ne doit en aucun cas être gardée sous silence. Gyang le dit, ce film est important, car il montre une vérité que le public ne voit pas car de moins en moins de gens regardent des documentaires. Mais n’importe quel média peut être un porte paroles.

L’art est une forme de protestation, le cinéma ne fait pas exception et Òlòtūré se veut pierre à l’édifice d’un changement futur dans la politique anticriminalité du pays, mais aussi un eye opener quant à une réalité que l’occident essaye d’étouffer.

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Jérémy aka
Le dernier WordBender, Father of Malkia et bien d'autres personnages. L'art est notre cadeau pour les générations futures.

Jérémy Musoki